Le Magazine de l’Association des Alumni HEC Lausanne

15.12.2025
Dossier spécial

40 ans du Master en Systèmes d’Information : 40 ans de métamorphose

L’Internef a peu changé, mais le domaine, lui, a été bouleversé.

Par ces mots, Thibault Estier a lancé la célébration des 40 ans du Master en Systèmes d’Information et Innovation Numérique d’HEC Lausanne, ouvrant la conférence par une rétrospective sur l’évolution de la discipline.

En 1984, alors que les ordinateurs sont encore un domaine de pionniers, les professeurs Munari, Probst et Bonzon, déjà convaincus que l’informatique de gestion allait bouleverser les entreprises, lancent en 1984 les premières bases du programme. Ils seront par la suite rejoints par Yves Pigneur, figure majeure du domaine, puis Solange Ghernaouti, qui marqueront durablement le département.

Depuis son lancement, le master a connu plusieurs réformes et accompagné chacune des grandes étapes de la transformation numérique et digitale. Parmi les initiatives marquantes de son histoire récente, la Digital Innovation Week, lancée en 2012 : un atelier intensif d’une semaine durant lequel les étudiants du MScSI collaborent avec des entreprises pour relever des défis concrets liés à l’usage du numérique et à l’innovation.

Cette année 2025est une consécration, car le master figure parmi les cinq meilleurs programmes européens dans le domaine des systèmes d’information. Et c’est bien là tout le symbole de ce jubilé : la capacité d’un programme à rester pertinent dans un monde où la technologie se réinvente sans cesse.

 Ainsi, « le master ne forme pas à un métier, mais à une manière de penser », une manière de penser à la croisée des logiques techniques, analytiques et managériales. Cette approche se reflète dans les parcours variés de ses alumni, qui, de l’audit à la pharmacie en passant par la grande distribution, ont su porter les enseignements du master bien au-delà du campus.

Photo Sébastien Monachon

Joe Peppard : L’implémentation de l’IA, une histoire qui se répète ?

Comment parler d’innovation sans aborder le sujet brulant en matière de numérique et de digital : l’intelligence artificielle.

Sur ce thème l’invité d’honneur, le professeur Joe Peppard (University of Dublin), est venu avec une question brûlante : « Pourquoi croyons-nous que l’intelligence artificielle va produire un résultat différent des précédentes révolutions technologiques ? »

Selon lui, l’IA n’aura pas l’effet disruptif sur l’économie que leurs développeurs annoncent. Il évoque les années 1980, époque du PC d’IBM, de l’Apple II et le début du master en système d’information. L’arrivée des ordinateurs personnels était supposée bouleverser la productivité. Or, comme le soulignait l’économiste Robert Solow à cette époque à travers son paradoxe de la productivité, « on voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité ». Aujourd’hui encore les effets du numérique sur la productivité font débat et l’impact réel du développement de l’informatique est difficile à estimer.

Pour Peppard, nous vivons aujourd’hui le même paradoxe avec l’intelligence artificielle : des milliards sont investis, mais les bénéfices concrets tardent à se manifester. Selon lui, la cause réside dans une série d’orthodoxies profondément ancrées : la séparation entre IT et business, la tendance à voir les technologies de l’information comme une charge plutôt qu’un investissement, ou encore des décisions techniques trop souvent déléguées sans en saisir pleinement les enjeux.

L’intégration de l’IA, comme celle de toute innovation avant elle, n’est pas un défi technique ou logistique, mais avant tout un défi managérial.

Sa proposition est radicale : « Il faut cesser de penser la technologie comme une chose, et la voir comme un verbe. » Autrement dit, la considérer comme une composante vivante du tissu organisationnel, un processus dont chaque décision influence la performance de l’entreprise.

Peppard a conclu son intervention en citant George Bernard Shaw : « Le progrès est impossible sans changement, et ceux qui ne peuvent changer d’avis ne peuvent rien changer du tout. »

Photo Sébastien Monachon

Des alumni aux parcours emblématiques

La conférence s’est poursuivie par une série de témoignages d’anciens étudiants, illustrant la diversité des trajectoires qu’offre le master.

Valeria Pelosini, aujourd’hui Head of IT Products for Marketing and Sales chez Bobst, a décrit la transformation numérique d’un géant industriel à travers la plateforme Bobst Connect, qui permet d’optimiser la maintenance, la qualité et la consommation énergétique des machines. Elle s’accorde à la vision de Peppard, selon elle, « Le plus grand défi, reste l’intégration des multiples systèmes cloud nécessaires à notre écosystème numérique ». Ainsi la double casquette du MScSI permet de faire le lien entre technique et humain pour faciliter ces missions.

Régis VillarsHR Project Manager Vaudoise Assurance, a encore insisté sur la dimension humaine des transformations technologiques. « La technologie évolue plus vite que les organisations, et les organisations plus vite que les humains. Aucune transformation ne peut réussir sans accompagnement », souligne-t-il. Pour lui aussi, le diplômé en systèmes d’information est avant tout un passeur entre le monde technique et les réalités humaines de l’entreprise.

Thomas BoillatGlobal Senior Digital Health Product Lead chez Roche, a raconté son parcours académique et professionnel, de sa thèse à Swissnex à une collaboration avec Stanford, avant de rejoindre le secteur de la santé. Il montre comment le digital transforme aujourd’hui à toutes les étapes de la mise sur le marché d’un médicament. De la recherche aux tests clinique, en accélérant les phases grâce aux modèles prédictifs et à l’intelligence artificielle.

Pour finir, Dominique HeintzChief Strategy Officer chez Audemars Piguet, a offert une perspective sur la digitalisation du luxe. En vingt ans, l’horloger est passée de 300 à 3000 employés, avec une stratégie  numérique étroitement liée à la stratégie d’entreprise. ERP, CRM, cloud, data… autant d’outils désormais au service d’une relation client plus fine, mais qui impose un équilibre délicat entre tradition, innovation et protection des données personnelles

Photo Sébastien Monachon

La relève : entre ambition et curiosité

Deux étudiants du programme, Alexandre Marlet et Philippe Delauney, ont clôturé la journée en partageant leur regard sur le master. Attirés par la qualité académique, la dimension internationale et les perspectives professionnelles, ils évoquent un environnement exigeant mais stimulant.« Le master nous pousse à devenir des acteurs du numérique et du digital, capables de relier la technique, la stratégie et le sens », résume Alexandre.

Photo Sébastien Monachon

Un héritage tourné vers l’avenir

En quarante ans, le Master en Systèmes d’Information et Innovation Numérique d’HEC Lausanne a formé une communauté de plus de mille diplômés aux profils multiples.
Tous partagent une même conviction : comprendre le numérique ne consiste pas seulement à maîtriser des outils techniques, mais l’humain.

Les bâtiments du campus n’ont peut-être pas changé, mais le monde, lui, ne cesse de se réinventer. Et au cœur de cette transformation, le master continue de faire ce qu’il a toujours su faire : préparer les étudiants à un secteur en constante évolution.

Arno Bruderer - HEConomist