09.06.2025
Vie de l'Association
Conférence de M. Bruno Le Maire
Cette année, l’Assemblée Générale des Alumni HEC Lausanne s’est achevée par une conférence intitulée « Géopolitique dans un monde en profond changement : Quelles implications ? » et donnée par Bruno Le Maire, figure centrale de la politique économique française et européenne.
Introduction : Qui est Bruno Le Maire ?
Ancien élève de l’École normale supérieure et de l’ENA, Bruno Le Maire a occupé plusieurs postes ministériels avant de devenir ministre de l’Économie et des Finances en 2017 sous la présidence d’Emmanuel Macron. Plus récemment, il a été nommé Professeur Invité au Centre « Enterprise for Society ». Son action, en tant que Ministre, s’est inscrite dans une volonté de renforcer la souveraineté économique de la France et de l’Europe face aux mutations géopolitiques et technologiques. Lors de cette conférence, il a livré une analyse approfondie des défis contemporains auxquels l’Europe est confrontée et des leviers dont elle dispose pour affirmer sa puissance, notamment face aux Etats-Unis et à son leader Donald Trump.
Une fracture entre l’Europe et les États-Unis
Lors de son intervention, Bruno Le Maire a souligné l’existence d’un « schisme occidental », non pas sur les intérêts économiques et financiers, mais sur les valeurs. Il a mis en avant la divergence entre les États-Unis et l’Europe sur des principes fondamentaux qui avaient été consacrés dès 1945, comme la souveraineté des États et l’inviolabilité des frontières. Il a notamment évoqué le changement d’agenda de l’administration Trump, dont la priorité reste la suprématie américaine à travers des initiatives marquées par le slogan « Make America Great Again ». Ses prises de position concernant le Groenland ou le Canada en sont certaines illustrations. Bruno Le Maire a aussi cité le cas de l’Ukraine pour illustrer son propos, en indiquant que Trump était plus intéressé par les matières premières se trouvant dans les sols ukrainiens plutôt que par l’issue du conflit.
Bruno Le Maire a également détaillé la stratégie américaine visant à garantir sa suprématie financière. Cette dernière passe notamment par le financement de la dette américaine tout en maintenant des prix bas, une équation qu’il juge difficilement tenable. Il a abordé la question de l’utilisation de moyens de pression afin de forcer les autres pays à financer la dette américaine, comme les taxes douanières, citant l’exemple des taxes américaines sur le vin français en échange de l’arrêt du déploiement de la 5G par Huawei en Europe à l’époque.
La transformation numérique et ses effets sur la démocratie
Un autre point-clé abordé lors de sa présentation a été la transformation cognitive induite par les nouvelles technologies. Selon lui, le fondement du débat démocratique repose sur la distinction entre le vrai et le faux. Or, cette notion est aujourd’hui mise à mal par la puissance narrative des extrêmes, qui ne sont pas en quête de vérité, mais plus de sensationnel et d’informations pouvant être présentées pour servir leurs idées politiques. Il a comparé l’influence des smartphones et des réseaux sociaux à une forme de dogme moderne, comme si les réseaux étaient une sorte de « seconde vie », rappelant que ces technologies sont majoritairement sous contrôle américain.
Bruno Le Maire a estimé que l’Europe et la démocratie ont perdu une bataille dans ce domaine en 1989 lors de la chute du mur de Berlin, lorsque la victoire apparente de la démocratie libérale a conduit à une illusion de toute-puissance de ce système politique. Il a dénoncé l’idée que l’Europe pensait que le commerce allait pacifier les relations internationales alors que ces dernières années, celui-ci a été militarisé et est désormais dominé par des rapports de force. On vivrait en quelque sorte la fin du cycle de la démocratie néo-libérale.
L’Europe peut-elle affirmer sa puissance ?
Malgré ce constat, Bruno Le Maire a insisté sur les atouts de l’Europe pour renforcer sa puissance et combattre le projet de suprématie de l’Amérique. Parmi eux, on peut citer la puissance économique et financière de L’Europe. Il faudra que les différents pays créent un marché unique pour faciliter l’investissement en Europe. Actuellement, en Europe, une grande entreprise qui souhaite lever des fonds doit solliciter des investisseurs issus de plusieurs pays, chacun soumis à des réglementations différentes, ce qui complique le processus. Aux États-Unis, en revanche, le marché unique simplifie considérablement l’accès aux financements. Si l’Europe créait aussi un accès à un marché unique, les entreprises européennes auraient moins de raisons d’aller voir outre-Atlantique. Le blocage actuel est principalement dû au refus de certains États de se voir opposer une surveillance européenne, mais face à la rapidité des mesures prises par le Président Trump, l’Europe doit faire preuve de célérité et réagir.
Les signes d’un optimisme européen
Malgré les défis, Bruno Le Maire a présenté plusieurs évolutions positives et reste optimiste quant à l’avenir de l’Europe. Le fait que certains pays se concentrent sur leur défense et investissent dedans montre qu’ils sont prêts à se défendre. Un exemple d’entraide qui illustre ce réarmement est la demande du Chancelier allemand à la France d’étendre son bouclier nucléaire à son territoire. On peut aussi citer le fait que le Chancelier allemand souhaite lever le frein à la dette pour pouvoir lever des fonds afin de réarmer le pays.
Conclusion : une responsabilité politique pour l’avenir
Pour Bruno Le Maire, la responsabilité des dirigeants européens est de défendre la démocratie et de la réinventer pour prouver son efficacité face à la montée des régimes autoritaires. Il appelle à replacer la démocratie au centre du système politique européen et à mieux organiser la puissance économique du continent afin de concurrencer efficacement les États-Unis. Selon lui, les États européens disposent de tous les outils nécessaires pour faire face aux transformations mondiales, encore faut-il qu’ils aient la volonté d’exercer pleinement leur influence et qu’ils arrivent à un consensus pour le bien commun.
Valentin Mermoud
Replay de la partie conférence