12.12.2022
Dossier spécial 95 > Futur du travail : les compétences de demain.
Interview – Virginie Lurkin, l’enseignement du futur
L’équipe HEConomist est partie à la rencontre de Virginie Lurkin, Professeure Assistante dans le département des opérations de la Faculté des HEC Lausanne. Elle nous raconte son parcours, mais aussi sa vision de l’enseignement du futur ainsi que ses méthodes pour engager davantage les étudiant.e.s et créer des classes plus interactives.
Pouvez-vous rapidement vous présenter et nous raconter votre parcours ?
Je suis Virginie Lurkin, professeure assistante dans le département des opérations de la faculté HEC Lausanne. J’ai rejoint la faculté durant l’été 2021. Avant ça, j’ai été professeure 3 ans à Eindhoven University of Technology. Je peux donc dire que j’ai un parcours croisé entre études commerciales et école d’ingénieur. Aujourd’hui, je donne des cours de gestion des opérations au niveau Bachelor et un cours orienté méthodes analytiques pour la gestion des opérations en master.
Pourquoi avoir rejoint HEC Lausanne ?
J’ai passé deux ans à l’EPFL pour mon post-doc et j’ai eu un coup de foudre pour la région. Les montagnes, la nature, les paysages. À la suite de cela, j’ai obtenu ce poste à Eindhoven, aux Pays-Bas, ce qui me rapprochait de mes racines belges à ce moment-là. J’ai vite réalisé que les Alpes me manquaient quand j’ai appris qu’un poste se libérait à HEC Lausanne. J’étais très enthousiaste à l’idée de revenir vivre auprès d’elles, sans parler de la beauté du Léman. Professionnellement aussi, je trouve que la région offre un dynamisme assez unique, avec la proximité des campus de l’UNIL et de l’EPFL qui permet de nombreuses opportunités de collaborations.
Vous dites être passée par plusieurs établissements et divers pays, que ce soit pour vos études, vos recherches et votre enseignement. Quelle est la principale différence selon vous entre ces pays ?
Je suis contente d’être passée par différentes institutions car je pense que les contrastes permettent de révéler les couleurs et donc les nuances. Pour la recherche comme pour l’enseignement, les différences culturelles sont marquantes. À Eindhoven par exemple, tout le cursus est en anglais. Pour ma part, ce que j’ai surtout ramené des Pays-Bas, c’est l’apprentissage mixte, avec certaines activités organisées en classe et d’autres pouvant être faites à la maison. On s’éloigne d’un modèle d’apprentissage unidirectionnel où l’enseignant développe son cours et le « récite » ensuite aux étudiants qui l’écoutent passivement. En s’éloignant de ce mode d’enseignement traditionnel, j’essaie de davantage engager les étudiants et de capter leur attention pour qu’ils soient acteurs de leur propre apprentissage.
Vous parlez d’interaction, comment l'implémentez-vous en classe aujourd’hui ?
Aujourd’hui, j’essaie autant que possible d’inclure des opportunités d’apprentissage actif (active learning) dans mes classes. Pour mon cours de Bachelor, c’est plus difficile parce qu’il y a beaucoup d’étudiants. Une solution que j’ai trouvée c’est d’inclure des quiz avec des outils interactifs, par exemple Slido. Chaque cours contient plusieurs questions et les étudiants peuvent voter avec un QR code qu’ils doivent scanner avec leur smartphone. Cela permet aux étudiants de se tester et moi j’ai une meilleure idée en "live" de l’engagement de la classe selon le nombre de réponses. Ces quiz créent aussi davantage d’interactions et de discussions puisque l’idée est de commenter les résultats et d’inviter les plus courageux à expliquer leur choix. C’est très bénéfique pour les étudiants comme pour moi.
Est-ce que l’implantation de ces outils se répercute sur les notes finales des étudiants ?
C’est la première fois que je le faisais alors je ne sais pas encore. Mais en tout cas, j’ai eu de très bons retours de la part d’étudiants très contents. Ce cours a reçu le Best Teaching Award, ce qui, j’espère, reflète leur satisfaction. Je crois sincèrement que les étudiants apprécient les opportunités de tester leur compréhension des concepts du cours sans qu’il y ait d’impact sur la note.
Est-ce que la pandémie et tous les aménagements mis en place pour les cours à distance aident à tendre vers ce mode d’enseignement plus digital ?
Oui, je crois que la pandémie à vraiment prouvé que ces outils avaient du bon. D’ailleurs je les ai mis en place pendant le semestre où j’enseignais de manière hybride. J’avais besoin de garder et de générer de l’interaction et cela me permettait d’engager les personnes sur place et celles en ligne également. On gardait une connexion entre la classe et les étudiants à la maison qui était importante.
Selon vous, les cours à distance devraient être maintenus ?
Je pars du principe qu’on est utile en classe en tant que professeur.e, mais qu’on doit utiliser ce temps pour interagir. Il y a certainement des parties de nos cours qui pourraient être remplacées par des petites capsules vidéo ou des chapitres à regarder ou à lire à la maison. En classe, je pense qu’il faut essayer d’avoir des activités interactives, qui permettent aux étudiants de se tester, mais aussi de revoir ce qui a été mal compris. Cela demande d’adapter son enseignement en fonction du feedback reçu de la part des étudiants, en expliquant à nouveau certains concepts plus problématiques pour eux par exemple. L’année dernière j’ai changé mon programme pour le cours de Bachelor pour réserver une séance afin de revoir certains concepts non compris par la majorité des étudiants. Pour l’année qui vient, à la place des séances d’exercices animées par des assistants, nous avons mis en place des quiz Moodle qui seront mis en ligne chaque semaine. De cette façon, on aura aussi les statistiques de réponses et on pourra réagir si personne ne répond ou que beaucoup d’étudiants répondent faux, puisque cela peut indiquer que les concepts en question ne sont pas clairs. Moodle est d’ailleurs un outil sous-exploité à mon sens, avec beaucoup de possibilités qu’on devrait utiliser plus.
Dans le futur, quelle place pourrait prendre ces outils ?
Ils sont utiles pour certaines parties de l’enseignement, mais nous sommes aussi utiles en classe en tant que professeurs. Pendant la pandémie et l’enseignement complètement digital, on a vu que beaucoup d’étudiants repoussaient leurs apprentissages pour la fin du semestre ce qui empêche une bonne digestion des connaissances. La combinaison des deux serait l’idéal. Il faut penser à créer le cours dès le départ en fonction de ces outils, ce qui n’est pas un exercice simple et demande de la réflexion. La faculté nous pousse beaucoup à le faire en mettant de nombreuses ressources à disposition. Il y a aussi une équipe pédagogique géniale à l’UNIL qui est présente pour nous aider. Il faut en revanche reconnaître que le métier de professeur.e a beaucoup de facettes (ce qui le rend fascinant) et qu’il faut trouver le temps de repenser ses cours et mettre tout cela en place.
Nous avons beaucoup parlé de méthodes. Quelles sont les thématiques qui devraient davantage être présentes ?
La durabilité, sans aucun doute, et les étudiants en sont demandeurs. Le master E4S par exemple est une excellente chose. Mais je remarque que c’est dans la volonté de la faculté de demander aux professeurs d’intégrer de plus en plus ces sujets dans tous les cours, et pas seulement dans un programme spécialisé. Dans mon cas, pour mes cours, j’essaie d’inclure des exemples liés à ces questions de durabilité, par exemple en considérant une entreprise qui voudrait minimiser ses émissions de CO2 et non ses coûts économiques. La faculté met un point d’honneur à aborder ces problématiques. Si nous voulons éliminer les failles du système actuel, il est important que notre système éducatif forme la future génération à cette pensée durable, mais aussi à une pensée éthique et citoyenne.
Faudrait-il aussi intégrer ces concepts dans les cours fondamentaux de Bachelor ?
J’y crois beaucoup. Je pense qu’il faudrait un cours d’introduction aux éléments clés de la durabilité et de l’éthique, mais aussi intégrer ces sujets dans tous les cours, ceux liés aux opérations mais aussi ceux liés à la comptabilité, à la finance et au marketing, ça serait très intéressant. En plus, la plupart de nos professeurs font de la recherche et de plus en plus, la recherche va vers ces problématiques également.
Y a-t-il un autre sujet qui pourrait être abordé davantage ?
Je pense que la diversité est un cheval de bataille du décanat également. Mais par exemple un sujet très présent à l’EPFL qui me semble moins visible à l’UNIL actuellement c’est le Mental Heath qui est pour moi un sujet très important. Mais globalement, je trouve que les combats de diversité et de durabilité menés par l’UNIL et HEC en ce moment sont nobles et j’espère qu’ils porteront leurs fruits dans les années à venir.
Où nous situons-nous par rapport aux autres pays en matière d’implantation des outils digitaux ?
La Suisse à une ADN innovante, mais c’est aussi le pays de la politique du compromis. À Eindhoven, l’apprentissage mixte a été imposé ce qui a accéléré le processus du côté des professeurs. J’espère qu’ici ça ne prendra pas trop de temps et que les professeurs seront vite convaincus des bienfaits de cet enseignement.
Pourquoi l’enseignement interactif vous tient tant à cœur ? C’est un élément qui vous manquait en tant qu’étudiante ?
Je pense que c’est intéressant autant pour les étudiants que pour les professeurs. La première fois que j’ai donné cours pendant la pandémie, tous les étudiants avaient la caméra coupée et j’ai vraiment ressenti de la solitude face à cet écran noir. C’est important pour un enseignant de sentir ses étudiants actifs. Pour les étudiants aussi. Je dis souvent que c’est l’enthousiasme, l’engrais qui fait fleurir les connaissances. Les cours ne doivent pas s’écouter, ils doivent se vivre. À mon sens, au-delà des cours, les évaluations pourraient changer aussi d’ailleurs, pour s’éloigner du modèle traditionnel carotte-bâton et explorer d’autres horizons comme celles des évaluations collectives.
Vous pensez par exemple aux examens en ligne ?
J’ai le sentiment que c’est ce pourquoi œuvre le plus HEC maintenant en voulant davantage évaluer via Moodle par exemple. Mais je pense qu’au-delà de ça, il faut aussi sortir du standard de restitution de connaissances et se diriger plutôt vers des études de cas, ou autres modèles innovants. Je pense qu’il ne faut pas hésiter à se tourner vers du digital quand c’est adapté aux connaissances qu’on veut tester. Il arrive que dans certains cas ça ne soit pas possible et dans ce cas, bien sûr qu’il faut conserver le modèle traditionnel.
En termes de langage, pensez-vous que l’anglais devrait être plus intégré dès le Bachelor ? Ou même l’allemand ?
Il est pour moi important que l’université garde son identité et ainsi ne propose pas que de l’anglais pour son programme de Bachelor. En revanche, il serait intéressant de proposer les deux pour nos étudiants, mais aussi pour les échanges universitaires. Proposer un programme en anglais permettrait d’élargir les possibilités en matière d’institutions partenaires pour des accords bilatéraux. Les étudiants francophones pourraient aussi améliorer leur anglais et être plus à l’aise au moment de sauter dans le grand bain du master.
Nous remercions Virginie Lurkin de nous avoir offert son temps précieux pour répondre à nos questions et de nous avoir partagé sa vision de l’enseignement du futur.
Manon Guiraud
Afin de faciliter la lecture de cet article, le genre masculin a été utilisé. Il va de soi que le genre féminin s’applique partout et en tout temps.