05.06.2023
Dossier spécial
Interview – Pierre-Yves Martin – Devant l’impact de son nouvel espace de travail, l’ECA a repensé ses pratiques
Dans le cadre de son déménagement dans des locaux flambants neufs, l’Établissement Cantonal d’Assurances (ECA) a pris soin d’accompagner en profondeur cet important changement, afin de permettre aux utilisatrices et utilisateurs d’adopter de nouvelles manières de collaborer et de fonctionner dans un environnement de travail fondamentalement différent. Cette démarche a été amorcée bien amont du jour-J pour assurer une transition la plus sereine possible.
Pierre-Yves Martin, Responsable des Ressources Humaines de l’ECA, nous parle de cette transition qui constitue un évènement marquant de la vie de l’entreprise et dans une carrière de DRH.
Haja M. Rajaonarivo : Merci Pierre-Yves Martin d’avoir accepté de partager avec nous ce qui a été en quelque sorte une véritable aventure, en tout cas un projet d’importance considérable pour l’ECA. Rappelez-nous tout d’abord le contexte de cette transformation.
Pierre-Yves Martin : Effectivement l’emménagement dans un nouveau siège, construit en partant de zéro, a été un projet de longue haleine qui a vu son origine en 2014 déjà. A cette époque les premières réflexions sur le sujet s’inscrivaient dans les prémices d’une stratégie d’entreprise visant à faire évoluer l’organisation dans sa culture, dans ses structures ainsi que dans son approche de la technologie digitale. Il s’agissait à la base de regrouper sur un seul site, entièrement neuf, les employés du siège qui étaient alors répartis à Pully dans 5 bâtiments hétéroclites, puisque certains étaient d’anciens locatifs qui avaient été aménagés en bureaux. Les locaux de la direction générale occupaient même une ancienne maternité.
Et dans ce contexte quels ont été les impacts de ce déménagement ?
C’était l’occasion de faire évoluer les pratiques sur plusieurs plans : au niveau du management, de la culture d’entreprise et de l’organisation du travail. Tout d’abord il y a eu le fait de passer de bureaux individuels, essentiellement divisés en espaces fermés regroupant de petits groupes de personnes, vers des espaces de travail décloisonnés, où de grandes équipes cohabitent sur une même surface ouverte. Cela a eu un effet sur les modes de collaboration et le besoin de règles de cohabitation. Et puis au niveau de la culture managériale nous avions préparé le terrain en travaillant en amont sur la notion de droit à l’erreur ainsi que sur la culture du feedback, afin d’accompagner la transition de manière plus sereine et faire évoluer durablement la culture d’entreprise.
Le travail en amont a donc été primordial ?
Oui tout à fait. Au début du projet dès 2016, des collaborateurs du siège ont été invités à participer à divers groupes de travail comme par exemple autour des thèmes de la mobilité, des espaces de travail, du sport & fitness ou de la restauration. Ensuite dans une perspective d’accompagnement au changement, nous avons travaillél eurs thèmes sous l’angle des avantages liés au changement, des problématiques qu’il soulevait et des craintes qu’il suscitait, il a été possible de proposer des réponses et des solutions pragmatiques. Un microsite internet a été créé afin de pouvoir tenir l’ensemble des collaborateurs informé de l’évolution des travaux des différents groupes. Cela permettait d’y présenter des illustrations des aménagements prévus, de gérer une foire aux questions. Nous avons également réalisé certains sondages ou réflexions interactives sur certains de ces thèmes.
Juste avant la mise à disposition du microsite, des ateliers ont regroupé d’une part les ambassadeurs des groupes de travail et d’autre part des managers, abordant les points forts et les points sensibles à mettre en avant. Il a notamment été important de réfléchir aux règles de vie pour assurer une bonne cohabitation : gérer le bruit des conversations, le risque d’interruption fréquente en espace ouvert, l’utilisation des espaces dédiés aux entretiens… cela a par exemple abouti à la mise à disposition de petit chevalet porteur de messages , sous forme humoristique, qui indique par exemple aux collègues si on est disponible ou si on souhaite se concentrer un moment sur son travail.
Une newsletter électronique a aussi été créée, renseignant sur l’avancement du projet et des visites du site ont été organisées à 2 étapes différentes durant le chantier puis une fois les aménagements intérieurs réalisés.
Et comment s’est déroulé ce déménagement ?
Comme une lettre à la poste ! Le 1er jour de l’emménagement, le 1er mai 2022 l’ensemble de la direction, le Comité de l’association du Personnel, les partenaires ressources humaines et IT étaient sur le pont pour accueillir une première vague de près de 250 collaboratrices et collaborateurs dans le nouveau bâtiment des Grangettes. Chacun a alors pu prendre possession de son poste de travail, car nous avons maintenu une place dédiée pour chaque employé.
Et maintenant avec plus d’une année de recul qu’observez-vous dans la manière de travailler ?
Par rapport à l’ancienne configuration où les entités étaient éclatées sur plusieurs bâtiments avec souvent des petits bureaux ne regroupant qu’une poignée de personnes, la nouvelle disposition en bureaux décloisonnés (les fameux « open space ») a vu la mise en place de nouvelles habitudes : il y a beaucoup plus de contacts et d’interactions, la communication directe est facilitée, on va voir les gens au lieu de s’écrire et puis le simple fait de croiser plus facilement les collègues nous fait souvent penser aux sujets que l’on doit traiter avec eux, ou peut nous donner plus aisément des idées… La disposition des zones de pause et du restaurant facilite aussi les rencontres. Avec un changement aussi important il a été décidé que dans le nouvel espace de travail les équipes resteraient groupées dans le même espace physique et que chacun conserverait une place de travail qui lui serait dédiée. Mais cela se fait aussi avec une politique de « clean-desk » visant au minimalisme sur le poste de travail. Nous n’avons volontairement pas fait le pas de « mutualiser » tout l’espace de travail au point que chacun choisisse chaque jour où il se place pour travailler. Ceci dit, avec l’instauration d’une politique de télétravail dynamique cela laisse toutefois la possibilité de faire un peu d’itinérance en occupant de temps en temps des bureaux libres lors de l’absence des « titulaires » . C’est une approche que j’utilise volontiers pour être plus souvent en contact avec différentes personnes et qui est facilitée par les absences physiques dues aux temps partiels, au télétravail, aux formations ou encore aux déplacements à l’extérieur.
D’ailleurs parmi les mesures préalables prises, quelques années avant l’emménagement, nous avions revu la politique de télétravail qui permet une journée de travail à distance par semaine. Celle-ci peut se faire à domicile mais également au sein de notre réseau d’agences réparties dans tout le canton et dans desquelles quelques bureaux pour « visiteurs » ont été aménagés. Cela permet aussi des nouvelles dynamiques et interactions entre le personnel du siège et celui des agences.
Ces évolutions et en lien avec la période du COVID, nous ont amenés à sensibiliser les managers sur les points d’attention pour la pratique du télétravail. Le développement du leadership, une approche bienveillante, les facultés d’adaptation et la flexibilité ainsi que l’encouragement à plus de collaboration ont fait partie des thèmes abordés.
Un comité travaillant sur le « vivre ensemble » a été formé et traite de sujets tels que l’utilisation des espaces de rencontre pour y mener des discussions, l’attention à l’autre, le respect des espaces de travail , la gestion du bruit des conversations, etc. Nous avons été agréablement surpris qu’il n’y ait presque pas de problèmes comportementaux à gérer, mais plutôt des problèmes logistiques.
Merci beaucoup Pierre-Yves pour ce partage d’expérience très intéressant. On peut donc dire que tu es un DRH heureux dans ce nouveau contexte, grâce notamment à un projet très bien préparé ?
Oui en effet. La préparation, les accompagnements mis en place aussi bien pour les collaborateurs que pour les managers, la participation très large de toute les parties prenantes au travers des groupes de travail, une excellente planification et un suivi rapproché dans les phases d’emménagement et de démarrage ont, j’en suis convaincu, contribué à faire de notre déménagement un succès et, comme vous l’avez compris, le travail ne s’est pas arrêté là puisque nous avons maintenu cette philosophie d’écoute, de proximité et de participation dans la mise en place des nouveaux modes de fonctionnement au travail induits par ces changements. Alors oui, je crois que l’on peut dire que je suis un DRH très satisfait, qui peut envisager de manière sereine son très proche départ à la retraite !