Le Magazine de l’Association des Alumni HEC Lausanne

26.06.2024
Dossier spécial > Léon Walras - HEC - L'imposition

Walras et l’impôt

Quelle était la vision de Léon Walras sur la perception de l’impôt et quelles influences a-t-il eu sur la fiscalité actuelle ?

En effet, bien que l’œuvre de Walras soit essentiellement axée sur la microéconomie et les théories de l’équilibre général, mettant en lumière les mécanismes par lesquels les prix des biens et services sont déterminés dans un marché et comment ses prix contribuent à un équilibre entre l’offre et la demande, ce théoricien a été amené à travailler sur les différents types d’impôts, par sa participation au Congrès international de l’impôt tenu à Lausanne en 1860.

Des influences diverses

Revenons d’abord sur les influences dans l’œuvre de Walras pouvant essentiellement s’articuler autour de trois éléments majeurs. Le premier correspond à l’héritage familial consistant au père du penseur, Auguste Walras, étant lui-même un économiste et un penseur influent. Auguste a inculqué à son fils une vision critique de l'économie politique, encourageant une approche qui ne se contente pas de décrire les phénomènes économiques mais cherche à les comprendre et à les expliquer dans un cadre théorique cohérent. Cette influence parentale a été fondamentale ; elle a orienté Léon vers des questions de fond en économie, comme la nature de la valeur et de la richesse, qui sont centrales dans ses travaux ultérieurs, y compris sa critique de la fiscalité. Les idées de Auguste Walras sont représentées dans la « Théorie critique de l’impôt » de la manière suivante par exemple : « Mon père nomme capital toute utilité rare qui survit au premier service qu'elle nous rend ; il nomme revenu toute utilité valable qui disparaît au premier usage qu'on en fait, certaines choses utiles étant naturellement des capitaux, certaines autres étant naturellement des revenus, d'autres enfin pouvant jouer soit le rôle de capital , soit celui de revenu, mais non pas ces deux rôles à la fois, suivant le service qu'on en exige et l'usage auquel on les applique. » Ces définitions de capital et revenu sont importantes pour comprendre la perception de Walras sur l’impôt.

Le contexte historique et social joue également un rôle central dans ces travaux. En effet, Le XIXe siècle a été marqué par des transformations économiques et sociales profondes, notamment la révolution industrielle, qui ont remodelé les structures économiques européennes. Ce contexte a fourni à Walras un laboratoire vivant pour observer les dynamiques du capitalisme naissant, les inégalités croissantes et les défis posés par les systèmes fiscaux de l'époque. Les injustices sociales vont ainsi modeler son intérêt pour une répartition équitable des richesses ainsi qu’une taxation juste entre les tous les citoyens. Cet élément important consiste une des bases derrière la volonté de l’instauration d’un impôt sur la fortune, comme nous le verrons par la suite.

Léon Walras

Walras et les différents types d'Impôts

Walras examine minutieusement l'impôt sur le revenu qui était le plus important en vigueur dans le canton de Vaud à l’époque de la conférence de Lausanne. L’auteur critique ouvertement cette taxation unique car celle-ci ne reflète pas équitablement les contributions des citoyens aux dépenses publiques. En effet, celui-ci justifie cette allégation en utilisant l’exemple d’un ouvrier et d’un propriétaire terrien gagnant un même revenu. Ces deux contribuables seront assujettis à une même taxation alors même que leur fortune n’est pas similaire. Walras décrit cette situation de la manière suivante dans sa « Théorie de la richesse sociale » : « […] c’est que, dans une société progressive, la condition du propriétaire foncier devient de plus en plus commode […]. Sans se donner la moindre peine, […] par le simple fait de la loi que je viens de signaler, le propriétaire foncier a le rare avantage de voir s’accroître la valeur échangeable du capital qu’il possède, et le montant du revenu que lui assure cette possession[1] ».

L’auteur propose donc de résoudre cette inégalité en instaurant un nouvel impôt consistant à taxer la fortune des contribuables. Celle-ci permet ainsi une participation égalitaire aux charges publiques, soulignant un principe d’égalité devant les services de l’État qui devraient être perçus comme des biens communs à l’ensemble de la société indépendamment des classes sociales.

Congrès international de l’impôt de 1860

Ces différentes manières de taxation furent le centre de débats houleux durant la conférence de Lausanne ayant eu lieu en 1860. Celle-ci réunit à l’époque de nombreux intervenants issus de divers pays et horizons afin de définir la meilleure manière de taxer un individu. Les participants y ont examiné les mérites relatifs des impôts directs versus indirects, la justice fiscale, et l'impact économique des différents systèmes d'imposition.

Bien que la conférence n'ait pas abouti à des changements immédiats dans les politiques fiscales des nations représentées, elle a joué un rôle important dans l'évolution des idées fiscales en Europe. Les discussions ont contribué à sensibiliser à la nécessité de réformes fiscales et ont influencé des penseurs et des décideurs politiques, tel que Pierre-Joseph Proudhon, dans les années suivantes, en particulier grâce aux idées novatrices mentionnées plus haut et apportées par Léon Walras.

Ces changements de taxation arrivèrent à un moment clé de l’histoire moderne européenne dans un contexte de transformation économique et politique profonde sur le continent, justifiant le besoin accru des gouvernements à accroître leurs revenus sans freiner la croissance économique.

Pierre-Joseph Prudhon

Conclusion 

Pour conclure, les travaux de Léon Walras sur la fiscalité, bien qu'anachroniques, restent éminemment pertinents. Ils nous rappellent l'importance de la justice fiscale et de la nécessité d'ajuster les systèmes d'imposition afin qu'ils reflètent équitablement les capacités contributives de tous les citoyens. En s'appuyant sur un riche héritage intellectuel, nourri par l'expérience de son père et par les changements socioéconomiques de son époque, Walras a érigé un plaidoyer pour une fiscalité qui ne soit pas simplement un moyen de lever des fonds, mais un instrument de justice sociale.

Le congrès international de l’impôt de 1860, bien qu'il n'ait pas conduit à des réformes immédiates, a jeté les bases d'une réflexion profonde sur les mécanismes de taxation, en mettant en lumière les principes d'équité et d'efficacité économique. L'impact de Walras sur la fiscalité actuelle peut être vu comme l'incarnation de son idéal de progrès social : une société où les charges publiques sont partagées de façon juste et où la fiscalité sert de levier pour une distribution équilibrée des richesses.

 En définitive, l'héritage de Walras perdure, inspirant les économistes et les décideurs politiques à poursuivre la quête d'un système fiscal qui soit à la fois efficace et équitable. À l'heure où les inégalités économiques se creusent et que les défis globaux requièrent des ressources publiques conséquentes, les leçons de Walras sont plus que jamais d'actualité, invitant à une réflexion renouvelée sur la manière de financer les biens communs dans le respect des principes d'égalité et de solidarité qui fondent nos démocraties.

 

Sources :

 Walras, Léon. Théorie critique de l’impôt. Librairie de Guillaumin et Cie, 1861

[1] L. Walras, Théorie de la Richesse sociale, p. 77