12.06.2025
Dossier spécial > Léon Walras - HEC - L'imposition
Quels impôts demain ? - Retour sur la conférence du 14 Mai
L’impôt est partout, et pourtant si peu discuté en profondeur. Mercredi14 Mai, dans l’auditoire Léon Walras de l’Université de Lausanne, l’Association des Alumni HEC a clôturé son cycle « Le Rôle de l'Impôt dans la Société » du projet Pioneer 1911 en posant une question simple en apparence : quels impôts demain ?
Introduction
L’exercice s’inscrivait dans la continuité d’une exploration entamée plusieurs mois auparavant. Une plongée dans les archives de la faculté avait permis de redécouvrir l’ouvrage méconnu de Léon Walras, La théorie critique de l’impôt (1861), amorçant une réflexion historique sur les fondements mêmes de la fiscalité. Puis, sous l’impulsion de jeunes journalistes étudiants, la parole avait été donnée à des personnes influentes afin de dresser un état des lieux contemporain du système fiscal suisse. Ces interviews ont conduit aux échanges du 14 mai : les personnalités interviewées tout au long du semestre ont ainsi pris place sur scène pour confronter leurs analyses et ouvrir la réflexion sur l’avenir de la fiscalité.
Le quatuor de prestigieux invités qui ont pu confronter leurs perspectives se composait de :
- Pascal Broulis, conseiller aux États vaudois et figure majeure des finances cantonales depuis plus de deux décennies, a apporté son expérience du fédéralisme fiscal suisse.
- Jean-Pierre Danthine, professeur honoraire à l’Université de Lausanne et ancien vice-président de la Banque nationale suisse, a partagé une lecture macroéconomique et internationale des enjeux fiscaux.
- Samuel Bendahan, économiste et homme politique suisse, membre du Parti socialiste, co-président du groupe socialiste au Conseil national, où il représente le canton de Vaud depuis 2017.
- Jérôme de Benedictis, économiste et homme politique suisse, membre des Vert'libéraux vaudois, syndic d’Échandens et député au Grand Conseil vaudois depuis 2022.
L’impôt comme pilier démocratique
En ouverture, Pascal Broulis, conseiller aux États vaudois et fin connaisseur des arcanes budgétaires cantonaux, a rappelé l’essence du consentement à l’impôt : « Le citoyen accepte de payer lorsque l'État délivre un service public visible, tangible, à la hauteur des prélèvements. » L’impôt, loin d’être une abstraction technique, incarne ainsi un lien de confiance fragile entre gouvernants et gouvernés. Derrière ce lien, se joue aussi un équilibre politique sur la juste répartition de la charge fiscale.
Car si l’on interroge la question du « combien ? », les divergences apparaissent rapidement. Jérôme de Benedictis, syndic de Chavannes-près-Renens et député PLR, a défendu l’idée d’un seuil maximal de 20% d’imposition sur le revenu, seuil au-delà duquel « la liberté économique s’effrite et les incitations se distordent. » Face à lui, Samuel Bendahan, conseiller national socialiste et professeur d’économie comportementale, a nuancé : « C’est une construction idéologique. Les effets de seuils existent, mais restent empiriquement limités. » Au-delà de ce débat quantitatif, l’enjeu fondamental reste celui de la redistribution.
L’héritage au coeur des tensions
L’un des points les plus vifs de la soirée fut celui de l’imposition de la fortune et des successions. Samuel Bendahan plaide clairement : « Les successions constituent un vecteur central de reproduction des inégalités patrimoniales. Leur taxation est socialement justifiée. » Jean-Pierre Danthine, ancien vice-président de la BNS et professeur honoraire à l’UNIL, rejoint l’idée d’une taxation accrue des successions, tout en plaidant pour une harmonisation fédérale modérée, qui éviterait la concurrence fiscale entre cantons.
Cette dernière constitue d’ailleurs l’une des lignes rouges de Pascal Broulis, défenseur historique de la souveraineté fiscale cantonale : « La fiscalité suisse repose sur le fédéralisme. Harmoniser, c’est fragiliser la responsabilité démocratique locale. »
Jérôme de Benedictis, au croisement des échelons communal et cantonal, a mis en exergue les effets pervers de la mobilité fiscale intracantonale : « Les classes moyennes et supérieures optimisent parfois leur lieu de résidence selon l’impôt. Le citoyen devient stratège. »
Fiscalité environnementale : un levier risqué ?
La transition écologique a naturellement nourri les échanges sur le rôle incitatif de la fiscalité. Faut-il multiplier les taxes comportementales pour modifier les pratiques polluantes ?
Samuel Bendahan s’est montré sceptique : « La fiscalité comportementale est souvent inefficace ou injuste socialement. Il faut d’abord des règles contraignantes, non des incitations. » À l’inverse, Jean-Pierre Danthine a défendu la pertinence des taxes pigouviennes : « Si le prix du CO₂ est correctement fixé, alors le marché corrige lui-même les externalités. »
Pascal Broulis a toutefois rappelé l’impératif d’acceptabilité sociale. En évoquant la crise des Gilets jaunes, il prévient : « Toute fiscalité écologique perçue comme punitive fragilise le consentement fiscal. »
Le défi fiscal des nouvelles technologies
Enfin, la table ronde a abordé les défis encore balbutiants posés par les mutations technologiques : robotisation, intelligence artificielle, blockchain. Comment taxer des robots qui n’ont ni salaires ni domiciles fiscaux ? Sur cette question, un consensus s’est dessiné autour de la nécessité de repenser les assiettes fiscales : vers des prélèvements indirects sur la productivité, les bénéfices ou la consommation énergétique.
Sur les multinationales du numérique, Jean-Pierre Danthine souligne l’urgence d’une coopération internationale renforcée, face à des entreprises capables de jouer des législations nationales.
Fiscalité et confiance
En conclusion, la table ronde a mis en lumière l’enjeu transversal du consentement fiscal : la qualité de la dépense publique et la simplicité des règles restent les meilleures garanties de légitimité. Jérôme de Benedictis a rappelé à ce titre la nécessité de « rendre lisibles les procédures budgétaires au niveau communal, souvent perçues comme opaques. »
Conclusion
Loin des slogans simplistes, la soirée a illustré la complexité technique et politique des réformes fiscales. Comme le rappelait en filigrane l’ombre tutélaire de Léon Walras : penser l’impôt, c’est penser l’organisation même de la société.