14.05.2025
Dossier spécial > Léon Walras - HEC - L'imposition
Le rôle de l'imposition au présent: interview du Professeur Danthine
Dans le cadre du Projet Pioneers since 1911 sur l'imposition qui a commencé avec une plongée dans les archives et la (re)découverte de l'héritage de Léon Walras, voici le deuxième volet de ce dossier spécial qui se concentre sur l'imposition au présent.
Découvrez l'interview filmée de Professeur Jean-Pierre Danthine (HEC'77), Directeur honoraire E4S, ancien vice-président de la BNS
En quelques lignes, un résumé de l'interview:
Jean-Pierre Danthine, économiste de renom et ancien vice-président de la Banque nationale suisse (BNS), livre dans cet entretien une réflexion profonde sur le rôle de l’impôt dans nos sociétés. Dans un contexte de tensions budgétaires, de transformation numérique et d’inégalités croissantes, il plaide pour une fiscalité plus juste, plus intelligente, et fondée sur les principes d’efficacité et d’équilibre social.
L’impôt, reflet de la place de l’État dans l’économie
Dès le début de l’entretien, Danthine clarifie un point fondamental : la question de l’impôt est indissociable de celle de la place de l’État dans l’économie. L’impôt sert d’abord à financer les biens publics que le marché ne peut pas fournir efficacement — tels que la justice, la défense ou les infrastructures essentielles. Il a ensuite une fonction correctrice : il permet de redistribuer les richesses et d’atteindre des objectifs sociaux ou environnementaux.
Une redistribution qui reste mal comprise
Selon Danthine, la redistribution est essentielle, mais son acceptation par les citoyens est conditionnée à deux facteurs : la transparence de l’utilisation de l’argent public, et la perception de justice. Peu de gens aiment payer des impôts, mais cela devient acceptable s’ils ont confiance dans l’efficacité de l’action publique.
La redistribution, mal conçue ou trop lourde, peut en revanche entraîner des effets contre-productifs : fuite des contribuables, perte de compétitivité, et désincitation à l’activité.
Richesse héritée vs richesse créée : faut-il taxer plus ?
Là où Danthine marque un point fort, c’est sur la distinction entre la richesse héritée et celle issue de l’entrepreneuriat. Selon lui, la première est beaucoup moins légitime d’un point de vue éthique et libéral, ce qui justifie une taxation plus importante des héritages. Il suggère même que cela pourrait être un terrain de réforme consensuel entre partisans de l’état social et défenseurs du mérite.
En revanche, il insiste sur la nécessité de maintenir une fiscalité attractive pour l’investissement, sans pénaliser ceux qui prennent des risques ou innovent.
Fiscalité des entreprises : un enjeu de justice globale
Danthine soutient l’imposition minimale des entreprises à 15% dans le cadre de l’accord de l’OCDE. Cela permettrait de réduire la concurrence fiscale déloyale entre pays. Toutefois, il distingue bien entre fiscalité et responsabilité sociétale : cette dernière doit être encadrée par la loi, et non laissée à l’appréciation des entreprises.
L'équilibre est toujours au coeur de son raisonnement : ne pas dissuader l'activité économique, mais garantir que les entreprises contribuent justement au bien commun.
Fiscalité, stabilité et neutralité monétaire
L’ancien dirigeant de la BNS rappelle que la fiscalité peut avoir un impact sur la stabilité financière, notamment lorsque des taux négatifs s’apparentent à une taxe sur les dépôts. Il insiste
cependant sur la nécessité de garder la politique monétaire indépendante des décisions fiscales : chaque levier a sa fonction propre.
Conclusion : une fiscalité à la fois plus équitable et plus efficace
Jean-Pierre Danthine livre une vision nuancée, fondée sur la rigueur économique mais sensible aux défis sociaux de notre temps. Pour lui, une bonne fiscalité est à la fois équitable, transparente et compatible avec la compétitivité. Elle doit évoluer avec les mutations technologiques, géopolitiques et environnementales.
Son appel à une approche « intelligente » de l’impôt trouve une résonance particulière dans une époque de transitions et de tensions. Loin des postures dogmatiques, il invite à une réflexion responsable sur ce que nous voulons financer, et comment.
Biographie du Professeur Danthine
Jean-Pierre Danthine est l'un des économistes les plus respectés de Suisse et une figure clé de son histoire financière. Ancien vice-président de la Banque nationale suisse (2012-2015), il a joué un rôle central dans la conduite de la politique monétaire du pays pendant une période de forte pression économique. Professeur de longue date à HEC Lausanne et dirigeant fondateur du Swiss Finance Institute, il a consacré sa carrière à la réglementation financière, à l'excellence académique et au leadership institutionnel. Aujourd'hui, il est directeur du Centre Entreprise pour la Société (E4S), une initiative conjointe de l'EPFL, de l'UNIL et de l'IMD, où il défend des modèles économiques durables et inclusifs pour l'avenir.