05.06.2023
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Interview – Quentin Gallea – L’enseignement actuel et du futur
Manon Guiraud et Pasha Mammadov, rédacteurs pour HEConomist, sont partis à la rencontre de Quentin Gallea, chargé de cours et chercheur à l’UNIL et l’EPFL, pour connaître sa vision de l’enseignement actuel et du futur.
Merci beaucoup de nous accorder du temps et de répondre à nos questions. Pour commencer, pourriez-vous vous présenter en quelques points ?
Je m’appelle Quentin Gallea. Je suis affilié à E4S (Entreprise for Society) qui regroupe l’UNIL, l’EPFL et l’IMD Business School. Ce groupement a pour objectif la recherche sur la transition énergétique et toutes les questions liées à la crise climatique. Mes principales activités sont aujourd’hui l’enseignement et la recherche. J’ai fini mon doctorat il y a 2 ans et maintenant je suis chercheur et chargé de cours à l’Unil et l’EPFL. Principalement ma passion, mon obsession même, ce sont les statistiques et la causalité que j’ai enseigné à plus de 10'000 étudiants et chercheurs.
Que pensez-vous du nouveau Master SMT, que reflète-t-il selon vous du futur de l’enseignement ?
Il répond à un besoin du monde de répondre à des questions toujours plus complexes. L’important est de former des personnes qui seront par la suite spécialisées dans plusieurs domaines spécifiques comme l’analyse du cycle de vie ou l’économie par exemple. Nous avons à cœur de former des professionnels qui pourront directement appliquer leurs apprentissages dans leur travail futur. Le programme se veut très professionnalisant !
Comment votre engagement dans E4S impacte-t-il votre enseignement ?
J’ai l’impression que mon plus grand rôle est à jouer avec les étudiants de première année HEC. En effet, la clé de mon enseignement va être de lier les sujets économiques et environnementaux. Il y a des fondamentaux que nous devons apporter en termes d’apprentissage, mais je vais, de mon côté, toujours apporter un angle de critique externe.
Le thème de l’enseignement est le même, mais quels sont alors les méthodes pour intégrer ces nouveaux axes dans l’enseignement ?
J’essaie toujours de prendre des exemples concrets comme la crise des fertilisants ou récemment le Black Friday. En effet, ce que j’ai en tête quand j’enseigne ce n’est pas l’examen, mais la volonté que les étudiants aient une image globale du fonctionnement du monde et de l’environnement. J’ai aussi la volonté de leur fournir des outils pratiques qu’ils pourront appliquer dans le monde professionnel. Dans le cadre des cours de Master par exemple, j’ai fait l’effort d’apprendre Python, au détriment de Stata, que je connais depuis des années. En effet, Python sera utilisé beaucoup plus facilement dans de nombreuses entreprises.
Vous êtes finalement comme un philosophe qui voudrait aider à comprendre la réalité ?
La causalité a en effet un aspect philosophique. On cherche à comprendre la chaîne causale et ses limites. La réflexion statistique est la clé pour faire face à la désinformation. De plus, un aspect fascinant est que de nombreux concepts pour questionner la causalité peuvent être enseigné sans mathématiques et sont donc accessibles à une très large audience.
Que pensez-vous des méthodes d’évaluation pour les examens en Bachelor ou de Master ?
Les examens étaient très frustrants pour moi quand j’étais étudiant, j’avais l’impression de perdre mon temps. Ce que je propose aux étudiants de master aujourd’hui, est quelque chose qu’ils pourront réutiliser par la suite. En effet, je leur propose de répondre causalement à une question environnementale qui les intéressent. Ils pourront l’intégrer à leurs CV par la suite ou le partager sur les réseaux sociaux par exemple.
Que pensez-vous de l’aménagement des cours et des examens pendant la pandémie ?
J’ai eu beaucoup de peine pour les étudiants qui ont été touchés par cette situation et surtout pour ceux qui commençaient le Bachelor. C’est très difficile d’évaluer l’enseignement à distance dans ce cas car tout un tas de choses liées au contexte doivent être prises en compte. Ce n’est pas comme si ces étudiants avaient décidé de suivre un cursus à distance par exemple. Là, c’était une réelle opportunité de vie sur le campus qui était manquée. Je trouve que le travail des professeurs et de l’université a été incroyable d’ailleurs, ils ont réussi à très rapidement basculer complètement à un mode d’enseignement et des outils qu’ils ne connaissaient pas.
La partie hybride a été intéressante et elle permet, elle, de mieux évaluer l’efficacité de l’enseignement à distance, et de grandes faiblesses. En effet, les élèves avaient le choix entre venir en classe ou regarder les vidéos. Cette formule a donné, je pense, une sensation de liberté à beaucoup d’étudiants qui ont repoussés leurs apprentissages à la fin du semestre, or, c’est évident que c’est impossible. En tant que professeur j’ai vraiment perçu cette tendance et il y a eu une répercussion dans les résultats.
Mon point de vue là-dessus et si je repense à mon expérience de l’université, en tant qu’étudiant, mais aussi dans mon travail et dans mes recherches, les interactions humaines sont vraiment la clef. L’humain est fait pour se rencontrer selon moi !
Est-ce qu'il y a un point particulier que vous aimeriez voir changer pour le futur de l’enseignement au sein de la Faculté des HEC?
Répondre à cette question serait un peu difficile, le programme est en train de beaucoup changer, tout est en train d’être revu.
Est-ce que vous trouvez que c'est une bonne chose ?
Oui évidemment. Je pense que certaines choses doivent évoluer. De mon point de vue, ce que j'ai à cœur et que j'aurais envie de transmettre si j'étais dans ces comités c'est vraiment l’idée de maximiser l'utilité́ pour les étudiants qui vont aller dans le monde professionnel. En effet, la majeure partie ne seront pas des doctorants et encore moins des professeurs dans 20 ans. Il y a souvent la question s’il y a trop de maths à HEC. Les maths sont utiles car il s’agit d’exercices cognitifs. C’est comme un nageur qui irait au fitness, même s’il ne s’agit pas de son domaine principal, le fitness est une activité sportive qui va vous permettre d’améliorer vos compétences dans tout autre sport. Cela va de même pour les mathématiques, ils aident à développer des capacités cognitives pouvant être appliquées dans beaucoup de domaines. Cependant, pour répondre à la question, je pense que construire les cours de façon plus appliqué et amener à des cas concrets pourrait être une bonne initiative.
Est-ce que vous pensez que les cours devraient être un peu plus pratique et moins théorique ? Quelles thématiques devraient prendre plus de place ?
Un peu moins théorique et plus pratique, je pense que c’est évident et on le fait déjà. Pour moi, un sujet très important c’est la question environnementale qui doit prendre une grande place même si je pense que c'est déjà le cas. Ce dont je me rappelle, c’est que, lorsque je faisais mon Bachelor, je pense que personne ne m’a parlé d'environnement, à part peut-être à un cours sur les externalités qui était présentée un peu comme une théorie économique qui existe. Je me rappelle avoir fini la première année et m’être dit que je trouvais ça choquant. Mais tout cela a déjà changé positivement, je trouve que HEC a déjà très bien réussi à implémenter des questions environnementales au sein de son enseignement.
Vous nous avez parlé de Python précédemment, comment communiquez-vous l’importance du codage et de la programmation à vos étudiants ?
J’ai pour ma part commencé à coder aux alentours de dix ans, je suis donc un grand convaincu ! Prenons l’exemple du master en économie politique, il peut faire peur aux étudiants, car même si la vitesse de placement sur le marché du travail est très rapide, les domaines peuvent être très différents. Python est très utilisé en entreprise et ce que j’apprends en cours aux étudiants avec cet outil peut être mis en pratique même juste après le cours en entreprise. Je leur montre très vite avec les données que tout n’est pas blanc ou noir. Aucun jeu de données n’est parfaitement complet ou bien ajusté, comme en entreprise, il est important d’ apprendre à gérer l’incertitude.
Que pensez-vous de la dynamique entre enseignant et chercheur ?
Il s’agit d’un point très important. Évidemment la première idée qui me vient à l’esprit c’est qu’un professeur à l’université n’est pas seulement un enseignant. Il y en a qui sont très bons naturellement et qui consacrent beaucoup de temps pour leur enseignement mais il faut savoir que la vie d’un chercheur est très intense. En effet, le terme «publish or perish » en dit beaucoup. Souvent 90% de notre temps est consacré́ à la recherche. Il est alors difficile de consacrer du temps pour son enseignement et améliorer ses cours et ses compétences. Il s’agit d’une problématique qui peut être embêtante. En effet les élèves ont besoin d’un professeur qui aura le temps de bien expliquer sa matière et répondre aux questions. Cela pourrait être une bonne initiative de la part de HEC d’engager plus de professeurs qui ne sont pas forcément chercheur.
Étant un économiste et statisticien, vous utilisez la programmation tous les jours, il s’agit d’un outil majeur. Que pensez-vous de l’apprentissage de la programmation ? Quel serait le meilleur moyen d’apprendre le langage de Python par exemple ?
En effet, la programmation représente une part très importante de mon quotidien. Il y a deux façons de l’apprendre, par des cours et par la pratique. Je pense que les deux aspects sont importants lorsqu’on veut maitriser la programmation. Les deux méthodes sont complémentaires. Ce que je conseillerai serait de regarder des tutoriels sur YouTube ou de suivre un cours sur une plateforme comme Coursera. Il y en a vraiment beaucoup qui expliquent très clairement comment s’y prendre. Néanmoins la base théorique de Python qu’on pourrait apprendre en cours est tout autant importante pour comprendre comment mieux mettre en œuvre ses codes. Je dirais donc qu’une bonne base théorique mélangée avec beaucoup de pratique sont la bonne façon d’apprendre la programmation.
On a parlé de communiquer sur la recherche, vous partagez beaucoup sur Linkedin ? Pourquoi ce canal ? Pour toucher quel public ?
J’adore partager la connaissance et c’est ce qui caractérise l’humain. On m’a tellement donné de savoir depuis que je suis petit que je ressens le besoin de le partager aussi. Ce qui est extraordinaire avec les réseaux sociaux c’est que je reçois énormément de messages de personnes venant de pays en voie de développement. Par ce biais, je peux communiquer régulièrement avec des gens du monde entier qui ne mettront peut-être jamais les pieds en Suisse ni à l’université de Lausanne. C’est aussi pour cette raison que je me suis mis au langage Python. C’est un outil en libre accès, n’importe qui ou presque qui a un ordinateur ou une connexion pourra regarder et reproduire ce que je partage. Pour moi les réseaux sociaux ont un pouvoir de partage très fort et LinkedIn est un outil fantastique. Je suis sur tous les réseaux, mais pour moi LinkedIn, du fait de son caractère professionnel, est une plateforme beaucoup plus agréable.
Nous remercions Quentin Gallea d’avoir répondu à nos questions et de nous avoir accordé son temps précieux !
Manon Guiraud et Pasha Mammadov